140 caractères ou le début du manichéisme en entreprise

Dans le cadre de son emploi, nombreux sont ceux qui se sont vu reprocher, à tort ou à raison, de trop développer leurs pensées dans une présentation, un courriel ou un simple rapport. Pour couronner le tout, Twitter a introduit en 2006 un nouveau standard en matière de brièveté : 140 caractères, pas un de plus…

Les pressés, les agités ou les positifs souligneront que l’on peut dire déjà beaucoup en 140 caractères. Bien évidemment, mais c’est un peu court – c’est le cas de le dire !

Maîtriser la synthèse ou de savoir résumer un propos en une phase est définitivement un art que peu de personnes maitrisent. Nous ne pouvons qu’être admiratifs lorsque nous avons le plaisir de les entendre ou les lire, mais les dérapages existent et certaines démocraties, dont les Etats-Unis, en souffrent.

Mais là n’est pas le propos. Réduire la complexité du monde en quelques lignes est souvent dangereux, voire pervers, mais dans tous les cas, très manichéen. Le monde du journalisme désigne cela par le « sympathique » terme de « brèves ». Il n’y a toujours rien à redire à cela à un détail près : dans la plupart des cas, le résumé ne correspond pas entièrement à la réalité et sans une forme d’expérience et de distance par rapport à ce type de nouvelles, on tombe très vite dans la désinformation.

En entreprise, nous assistons de plus en plus au même phénomène : être bref, c’est être dynamique, efficient et efficace pour beaucoup, les états-majors des hautes directions poussant souvent dans cette direction arguant que les hauts dirigeants n’ont pas de temps et surtout sont suffisamment intelligents pour comprendre le contexte. Certes, mais le danger guette à chaque page PowerPoint que l’on décortique : sous prétexte de contribuer à l’efficacité, certains détails, certaines conséquences indirectes, certaines opportunités ne sont pas représentées.

A ceux qui cherchent à montrer que le diable se trouve dans les détails, la réponse est souvent abrupte : soit on écourte la présentation, soit on en ignore le contenu au risque d’aller exactement dans la direction opposée à celle apportant une plus-value.

En réduisant – volontairement ou non – la complexité d’un processus, d’un projet, d’un concept, on en réduit également la substance moelle, l’importance et souvent la criticité. Cela donne également l’impression que n’importe quel imbécile peut trouver la solution en deux minutes. Les réactions des hautes directions à cet égard se font souvent sous la forme d’une question cinglante : pourquoi ne l’avons-nous pas fait avant ? Voilà, voilà…

La manipulation par dissimulation ou par élision est aussi vieille que le monde et cela n’est pas demain la veille que le principe des 140 caractères disparaîtra : nombre d’applications sur smartphone offrent les mêmes fonctionnalités, par texte ou par vidéo…

Après une année 2022 chaotique et malheureusement ternie par des conflits, des réactions hostiles entre pays, le questionnement sur la démocratie, des événements sportifs à des endroits improbables, un climat qui s’affole, souhaitons que l’année 2023 soit meilleure pour toutes et tous. Que cela soit en 140 caractères ou plus, finalement peu importe…

Bonne Année 2023, bonne lecture et à bientôt.

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