Le droit est devenu bien commode : il permet de masquer certaines incompétences et d’écarter tout pragmatisme au profit d’un dogmatisme parfois délirant dans certaines entreprises.
Mais de quoi parle-t-on exactement quand on évoque le « droit » dans cette démonstration ? Il s’agit de l’ensemble des directives, normes, articles de lois, éléments de conformité — ou compliance — ainsi que des multiples certifications qui orientent les décisions et les actions des entreprises, et donc, de chaque professionnel.
Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause l’existence de ces normes, devenues indispensables dans un monde hyperconnecté. Il s’agit plutôt de prendre conscience qu’au lieu de favoriser la créativité ou le pragmatisme, elles deviennent souvent des filtres contre l’efficience, des oreillers de paresse, ou des marqueurs d’insignifiance.
Dans les moyennes et grandes entreprises, toute initiative un tant soit peu significative doit désormais passer à travers les mailles du filet du service juridique (legal), de la compliance, de la sécurité informatique (IT Security), de la protection des données, voire des ressources humaines, de l’audit, de la communication ou encore des risk managers.
Dans quel but ? Réduire le risque à zéro. Pourtant, entreprendre, par définition, c’est prendre des risques. Les experts répondront que l’objectif n’est pas de les éliminer, mais de les minimiser. Bien sûr… on a compris.
Le vrai problème, c’est le manque de proportionnalité dans les mesures et les contrôles, et la disparition quasi totale du bon sens pragmatique. Ce phénomène a pour conséquence directe la perte de l’envie d’entreprendre. Pourquoi proposer une idée innovante si l’on sait qu’elle nécessitera six mois d’analyses et qu’elle sera recalée une dizaine de fois ?
Lorsque, pour une action mineure présentant un risque très limité, on se retrouve à rédiger des concepts, des argumentaires, à multiplier les réunions et à mobiliser la haute direction — simplement parce que personne n’a le courage ou la compétence de dire « vas-y » — on atteint des sommets d’inefficience et d’absurdité.
Et ce n’est pas tout. Lorsque l’on partage ce constat avec des personnes encore lucides, la majorité répond qu’elles sont bien conscientes de la situation, mais qu’on ne peut plus rien y changer. L’empilement des couches de conformité est tel qu’il est devenu inextricable. On touche alors au comble de l’absurde.
Comble d’ironie : les mêmes interlocuteurs, si rigoureux dans le cadre professionnel, prennent souvent dans leur vie personnelle des risques bien plus importants, sans que cela ne les trouble le moins du monde. Une ironie presque cruelle.
On peut bien sûr trouver cela normal, se moquer de cette analyse, voire douter de la lucidité de ceux qui osent remettre en question cet ordre établi. Mais c’est bien d’efficience, de performance, de marges et de pérennité des entreprises qu’il est ici question. Étrangement, cela ne semble inquiéter grand monde. Dont acte.
Quant à moi, je suis en fin de carrière, cela ne me concerne plus vraiment. Cela me désole simplement pour les générations suivantes. Mais sans rancune, Mesdames et Messieurs les Docteurs en droit…
Bonne lecture, et à bientôt.